Aux racines du sang : "Quand l’ADN martiniquais retrouve ses origines Kongo”
Les ancêtres ont laissé leurs traces, mais pas toujours dans les livres. Parfois, c'est dans les gênes que la vérité sommeille. Et quand la science moderne décide d'écouter, elle nous murmure des vérités que l'histoire coloniale a voulu taire. En Martinique, à l'heure où les questions identitaires se font plus vives que jamais, une révolution silencieuse se joue dans les laboratoires et les tests ADN. Et cette révolution, elle dit ceci : "Nou sé Ti moun Kongo."
Aux origines d'une parenté longtemps éclipsée
Déportés, dépossédés, démembrés. Telle fut la réalité des centaines de milliers d'Africains arrachés à leurs terres pour servir le projet colonial européen. En Martinique, entre le XVIIè et le XIXè siècle, ce sont plus de 200 000 âmes qui ont été déportées, majoritairement depuis les régions d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Parmi ces régions : le bassin du Congo.
Les noms résonnent aujourd'hui comme des cicatrices mal refermées : Loango, Cabinda, Luanda, Boma. Des ports où les peuples Kongo, Luba, Téké, Ngala ont vu leurs fils et filles partir vers l'inconnu, marqués au fer, baptisés de noms français, et déracinés de leurs langues, leurs terres, leur spiritualité. Mais ce que les planteurs n'ont pas pu extirper, c'est le legs invisible : la mémoire génétique.
L’ADN, un tanbouyé silencieux
Une peu de science.
Loin d'être neutre, la science de la génétique est aujourd’hui une arme de réappropriation identitaire. Elle confirme ce que beaucoup pressentaient intuitivement : les Martiniquais sont proches génétiquement des populations congolaises, notamment celles du bassin bantou.
1. L’ADN mitochondrial (mère)
Les haplogroupes L2 et L3, fréquents chez les populations d'Afrique centrale et de l'Ouest, se retrouvent massivement chez les femmes antillaises. Ils sont les vestiges biologiques de ces mères africaines anonymes.
2. Le chromosome Y (père)
Malgré l’apport européen forcé, les tests ADN révèlent aussi la présence du marqueur E1b1a, signature génétique des hommes bantous, dont les descendants vivent aujourd'hui au Congo, au Gabon, en Angola.
3. L’ADN autosomal (l'ensemble)
Les analyses globales montrent une proximité marquée avec des groupes comme les Bakongo, les Luba, ou les Fang, ainsi qu'avec les Yoruba du Nigeria ou les Akan de la Côte d'Ivoire. Des racines entremêlées, mais cohérentes.
Des chercheurs pour témoins
Les travaux de Pierre Darlu (CNRS), de Jada Benn Torres (Cornell University), ou encore les bases de données du Transatlantic Slave Trade Database corroborent cette ascendance. Des projets comme l’African Diaspora Genome ont permis de cartographier ces filiations avec une précision inédite.
Ils montrent que la majorité des gènes africains retrouvés en Martinique proviennent de la zone Congo-Angola. Une vérité que ni les catéchismes coloniaux ni les actes de naissance européanisés n'ont pu effacer.
L’ADN, outil de réparation symbolique
Quand un Martiniquais fait un test ADN et découvre qu’il est à 40% Kongo ou 25% Fang, ce n'est pas un simple chiffre. C'est un fil rouge qui le relie à une histoire, un territoire, une culture. C'est un acte de réparation symbolique face à l'effacement colonial.
Mais il faut aussi être prudent. Comme le rappelle Pierre Darlu : "l'ADN ne désigne pas des ethnies, mais des proximités génétiques. Il faut lire ces données avec humilité."
Retrouver les racines pour mieux se tenir debout
Dans une époque où la quête identitaire devient urgente, l'ADN offre un miroir que les Antillais peuvent enfin regarder sans honte. Un miroir qui dit : "Tu viens de loin. Ton sang parle plusieurs langues. Parmi elles, le kongo."
Le lien entre les Martiniquais et les Congolais ne se limite pas à une histoire de gènes. Il est aussi culturel, spirituel, vibratoire. Il se lit dans les rythmes du bélé, dans les noms oubliés, dans les pratiques marronnes, dans les visages familiers croisant ceux de Kinshasa ou Brazzaville.
Ce que la génétique vient dévoiler, les tambours le chantaient déjà.
KaribAfrik continuera d'explorer ces ponts, de tisser les filiations, de redonner chair à ce que l'histoire a voulu découdre. Parce qu'à défaut d'être restitués matériellement, nous pouvons être restitués symboliquement.
Et si demain, un enfant de Fort-de-France regarde ses origines et voit Kongo, c'est qu'une page s'est enfin rouverte.
Sources :
Jada Benn Torres, "Genetic Diversity in the Caribbean Basin", 2015
Pierre Darlu, CNRS / Muséum national d'Histoire naturelle
Transatlantic Slave Trade Database (www.slavevoyages.org)
African Diaspora Genome Project
Étude "Bantu expansions and genetic legacies" - Science Advances, 2024