Cheveux naturels : un retour aux sources assumé
Le début des années 2000 a été marqué par le retour des cheveux naturels. Cheveux crépus, frisés ou bouclés ont fait leur "come back" petit à petit dans la vie de tous les jours. Peut-être par simple phénomène de mode ou par une prise de conscience liée à une crise culturelle et identitaire, de plus en plus de femmes essayent tant bien que mal d'accepter la vraie nature de leurs cheveux. Dans une perspective d'un retour aux sources par l'intermédiaire du panafricanisme, peut-on affirmer également que le retour aux cheveux naturels est un retour aux sources ?
Peau mélaminée, cheveux afro, une identité qui s’est perdue…
Dans la société occidentale, le cheveu crépu a toujours été rejeté au même niveau que la peau nubienne. La colonisation orchestrée par les leucodermes, autrement dit "les blancs" ainsi que leur arme fatale connue sous le nom "d'esclavage" a détruit l'identité du peuple noir. Les esclavagistes voulaient faire croire aux noirs que leur couleur de peau, leurs traits physiques, leurs cheveux et tout ce qu’il y avait de beau chez eux n’étaient tout simplement pas acceptables.
Évidemment le plan a fonctionné, si bien que beaucoup de personnes à la peau noire ont eu recours au blanchiment de leur peau ou au port de perruques ou encore au défrisage pour ressembler le plus possible aux blancs. Aujourd’hui encore, plusieurs femmes noires, en particulier celles originaires du continent africain, sont d’accord pour dire qu’il est préférable de porter une perruque plutôt que ses cheveux naturels, parce que c’est plus propre, plus classe et mieux coiffé.
La question ici n’est pas de juger, mais de comprendre. Comprendre pourquoi tant de femmes continuent de cacher leurs cheveux naturels, tout en affirmant leur fierté d’être africaines ou afro-descendantes. Ce contraste met en évidence l’impact durable d’un conditionnement mental hérité : tandis que beaucoup demeurent enfermées dans des schémas imposés, d’autres brisent ces chaînes invisibles en assumant pleinement leur identité capillaire et, avec elle, une africanité réappropriée et assumée.
Porter ses cheveux naturels c'est porter son identité
Avant la colonisation, les cheveux crépus étaient non seulement acceptés, mais aussi valorisés. Il était tout à fait normal de porter ses cheveux, au même titre qu'on porte ses bras ou ses jambes. Les différentes coiffures que nos ancêtres portaient avaient une signification et étaient vectrices d'un message bien spécifique pouvant informer les autres sur notre statut social, marital ou ethnique, par exemple.
Les cheveux naturels et toutes les coiffures afros qui y sont associées font intégralement partie de la culture et de l'esthétique africaines. Mais hélas, nombreuses encore sont celles qui préfèrent vanter les mérites des perruques plutôt que les nombreux avantages à porter ses cheveux naturels quotidiennement.
D'ailleurs, il faut reconnaître que c'est assez paradoxal de dire qu'on est fiers d'être africains ou afro-descendants et de porter encore fièrement ce qui fait référence aux stigmates de la colonisation sur sa tête. Il est encore plus paradoxal de se dire "libre", mais d'être encore "obligé" de plaire de dictats d'une société caucasienne qui n'a pas fini d'écarter les cheveux afros de son chemin, parce qu'elle considère cette texture comme "non appropriée".
Comment peut-on affirmer "être africain" ou "afro descendant", tout en cachant ce qui reflète cela ? Beaucoup de femmes noires laissent entendre que porter des perruques n’est pas forcément lié à un complexe… pourtant, ce sont ces mêmes femmes, dans la grande majorité des cas, qui font l’apologie des perruques et non des cheveux crépus.
Pourquoi ne pas mettre en valeur l'héritage africain qu'on porte naturellement sur notre crâne ? Sur 365 jours, combien de fois la femme noire porte-t-elle ses cheveux naturels ? L'équation est simple; plus on aime quelque chose et moins on le cache, plus on aime quelque chose et plus on le met en avant, tel un bijou, tel un tatouage, telle une tenue dans laquelle nous savons que nous brillons.
D'autre part, certaines diront que c'est plus simple, plus rapide, de porter des perruques lisses… pourtant, il existe une multitude de coiffures afro nous permettant de rester coiffé pendant plusieurs jours et de simplifier notre quotidien, sans avoir à coller, à attacher ou effectuer une quelconque manipulation sur notre crâne.
Enfin, on entendra également que porter des perruques est une manière de pouvoir changer de tête plus souvent. Utiliser ce genre d’argument démontre une méconnaissance du fait que la texture afro est la texture qui nous permet de porter toutes sortes de coiffures sans avoir à ajouter quoi que ce soit d’artificiel à nos cheveux. En d'autres termes, la texture afro est la texture la plus versatile des textures capillaires qui existent dans ce monde.
Renouer avec ses cheveux naturels et les porter sans condition
Dans une époque où le panafricanisme est de plus en plus accepté et revendiqué, il serait intéressant de reconnaître que la libération et l'émancipation des peuples africains passent aussi par une libération d'un système de pensées qui vise à se rejeter soi-même. Quand on se dit panafricain ou lorsqu’on est fière de ses origines africaines, il en va de même qu'on accepte tout ce qui reflète cela.
Lorsqu'on parle de retour aux sources, il ne s'agit pas seulement de retourner sur une terre africaine, mais de retourner à notre vraie nature. Le retour aux sources est un retour vers l'essentiel, vers le naturel, vers ce qui fait notre essence.
Accepter, aimer et porter ses cheveux naturels au quotidien est un acte de résilience bien plus qu'on ne l'imagine. Toutes les fois où une femme noire africaine ou afro descendante porte ses cheveux afros, elle est en train de dire au monde qui l'entoure : mes cheveux méritent d'exister et ils sont beaux. Chaque fois qu'une femme noire arbore ses cheveux crépus, elle défit certaines normes sociales, culturelles et professionnelles.
Accepter et porter ses cheveux naturels, c'est refuser ces normes imposées et revendiquer une esthétique proprement africaine. Lorsqu'on décide de porter ses cheveux naturels, on décide aussi de reprendre le contrôle de son image et de son identité. On refuse la pression sociale occidentale qui nous demande de nous conformer à ses codes et l’on affirme son identité africaine.
Le conditionnement est si profondément ancré que, lors des grands moments de la vie ; mariages, cérémonies, célébrations, beaucoup de femmes noires ressentent encore le besoin de recourir à la “perruque de l’apparat”, comme si leurs cheveux naturels n’étaient pas à la hauteur de l’instant, comme si les porter ce jour-là relevait presque du tabou.
Voyez-vous une indienne dissimuler sa chevelure le jour de son mariage ? Une asiatique troquer ses cheveux naturels pour passer un entretien ? Une femme blanche masquer sa texture pour un événement marquant ? Non. Elles avancent avec ce que la nature leur a donné, en pleine cohérence avec leur identité. Pas parce qu’elles sont meilleures, mais parce qu’elles n’ont jamais été invitées à se renier pour être acceptées.
Alors oui, certaines diront : "les blanches aussi mettent des perruques." c’est vrai. Mais leurs perruques prolongent leur réalité. Il n’y a pas de grand écart, pas de transformation radicale. Quand elles retirent leur perruque, elles restent elles-mêmes. Chez nous, c’est parfois un autre visage, une autre histoire, un autre reflet. Une dissonance qui interroge.
Ce n’est pas une condamnation. C’est un appel à lucidité. Le problème n’est pas la perruque, mais ce qu’elle remplace. Ce n’est pas d’emprunter un style, mais de s’éloigner au point de ne plus reconnaître le sien. Alors non, il ne s’agit pas d’imiter les autres, mais peut-être d’apprendre d’eux : pas leur texture, mais leur rapport apaisé à leurs racines.
Un retour aux sources assumé
Le retour au naturel est un retour aux sources, car il s'inscrit dans une démarche de réappropriation culturelle, identitaire et historique.
Pendant trop longtemps, dans l’espoir d’être acceptés dans un monde qui ne nous a pas toujours reconnus, beaucoup ont dû mettre leur identité en sourdine. Pour correspondre aux normes occidentales, l’homme noir a été poussé à lisser ce qui faisait sa singularité — ses cheveux, sa langue, ses traits, jusqu’à parfois son prénom.
Mais effacer ses cheveux, c’est commencer à gommer tout un héritage. Et si l’on renonce à ce qui nous distingue, où s’arrête la compromission ? Doit-on aussi taire nos voix, nos histoires, nos formes, nos couleurs ? Bien sûr que non. Il ne s’agit plus de se réduire pour rentrer dans un moule, mais d’élargir l’espace pour qu’il contienne toutes nos vérités.
Aujourd’hui, le choix est clair : au lieu de diluer notre essence, affirmons-la. Non pas contre les autres, mais pour nous-mêmes. Retrouver nos cheveux, c’est aussi retrouver notre nom, notre posture, notre mémoire, notre puissance. C’est refuser l’effacement. Et choisir, enfin, d’exister en entier.
Le retour au naturel est bien plus qu'une tendance capillaire, il symbolise une reconnexion profonde avec l'héritage africain, un rejet des dictats occidentaux et une affirmation de soi. Il incarne une démarche de libération et de fierté, portée par un mouvement de renaissance africaine et panafricaniste.
En d'autres termes, un retour aux sources ne peut que nous permettre d'être alignés avec nous même et d'accepter pleinement notre vraie nature, favorisant ainsi notre épanouissement. Cette démarche est essentielle pour tous et celles et ceux qui ressentent cette quête profonde d'identité et qui ont enfin envie de se libérer des pressions inutiles de la société.